Si une fente se produit sur un bateau—Le Dr Eberhard Renner
Si une fente se produit sur un bateau, il suffit de boucher le trou, pas uniquement d’évacuer l’eau
“ Society has let us become fatter and fatter, and most frighteningly, at younger and younger ages. We are in the midst of a worldwide obesity epidemic. ”
– Le Dr Eberhard Renner
Les supermarchés et les services au volant sont une invention du 20e siècle. La nourriture n’a pas toujours été disponible tout au long de l’année, ni en abondance, comme c’est le cas de nos jours. Qui n’est jamais allé aux restaurants-minute du coin de la rue? Qui ne s’est jamais arrêté au supermarché du coin à son retour du travail pour prendre une pizza pour son souper, incluant une boisson sucrée? Les publicités pour les aliments et les boissons sont répandus; en fait elles n’arrêtent pas de vous attirer. Elles promettent en général plus pour moins, offrant plus de calories pour moins d’argent. Nous sommes régulièrement martelés et incités à manger plus, plus souvent, des aliments préparés industriellement et qui sont fréquemment de mauvaise qualité.
Et alors? Bon, les êtres humains à une époque, ont commencé par la chasse et la cueillette. Pendant plusieurs milliers d’années, nous avons travaillé dur physiquement et pendant de longues journées pour avoir accès aux calories nécessaires pour survivre et pour nourrir nos êtres chers. La pression sélective a donné à ceux qui avaient la capacité d’emmagasiner de l’énergie nutritionnelle pendant les périodes d’abondance d’aliments, la possibilité de vivre sans ces réserves quand les aliments devenaient rares, p. ex. pendant l’hiver. Aussi, ce n’est pas étonnant que la capacité à emmagasiner de l’énergie nutritionnelle telle que la graisse, s’est ancrée dans nos gènes.
Mais aujourd’hui cette capacité n’est plus un avantage, au contraire. Entre l’abondance d’aliments tout au long de l’année et notre tendance à développer un style de vie sédentaire, cela nous rend plus enclins à devenir de plus en plus gros; et encore plus inquiétant, cela commence à un âge de plus en plus jeune. Nous sommes en proie d’une obésité épidémique mondiale. À l’échelle canadienne, environ 1/3 de la population est obèse (IMC de 30 ou plus) et à cela il faut ajouter 1/5 de personnes qui sont en surpoids (IMC de 25 à 30). Ainsi, plus de la moitié des Canadiens souffre d’un certain degré de syndrome métabolique et d’un état inflammatoire chronique de basse catégorie associé avec le fait d’être trop gros, ce qui prédispose au développement de diverses maladies chroniques.
Encore plus, cela ne touche pas seulement les personnes âgées, mais affecte de plus en plus les enfants d’âge scolaire qui risquent de développer tous ces problèmes liés à l’obésité quand ils auront la vingtaine ou la trentaine, alors que cela n’existait qu’à l’âge de la retraite plus ou moins. Le résultat, est que quand je travaillais à Toronto, 30 % des jeunes adultes en bonne santé qui se portaient volontaires pour faire un don du foie étaient rejetés en raison d’un IMC au-dessus de 30.
Vous comprenez pourquoi c’est important! À part le fait que cela affecte la vie des individus et de leurs familles, le fardeau que cette obésité épidémique crée pour notre système de soins de santé est énorme et empire tous les ans. L’obésité crée chez beaucoup un risque de diabète de type 2 avec toutes ses conséquences telles que la perte de vision, la maladie vasculaire (périphérique) et les défaillances rénales, jusqu’aux maladies cardiaques ischémiques et les crises cardiaques, les syndromes d’apnée du sommeil qui impactent la qualité de vie et la productivité, les arthroses de la hanche et du genou qui requièrent des remplacements d’articulations, la stéatose hépatique non alcoolique qui dégénère souvent en cirrhose et cancer du foie (carcinome hépatocellulaire), ainsi que d’autres cancers mortels, sans oublier les problèmes d’anxiété et de dépression… et la liste est loin d’être complète.
Et malheureusement nous ne faisons pas grand-chose pour régler ce problème sérieux; au contraire, en tant que docteurs, nous passons un temps considérable de nos ressources de soins de santé à traiter des stades avancés de maladies liées à l’obésité, tel que cela est mentionné ci-dessus. Nous sommes submergés par le traitement du diabète et de ses complications, l’augmentation des centres de dialyse et la réalisation de greffes de reins, ainsi que la hausse des programmes de crises cardiaques et de problèmes coronariens aigus. Nous construisons des centres du sommeil, effectuons des études sur le sommeil et prescrivons des machines de ventilation spontanée en pression positive continue, et nous faisons de plus en plus de remplacements de hanche et de genoux à des âges de plus en plus jeunes.
Nous traitons le cancer et les désordres psychiatriques liés à l’obésité et prescrivons des tests de laboratoire et des examens par imagerie pour évaluer la stéatose hépatique et gérons les complications de la stéatohépatite non alcoolique (SHNA), cirrhosis—et de la cirrhose – qui se répand de plus en plus et sera bientôt la raison la plus importante de prescription d’une greffe de foie.
Tout cela requérant de plus en plus d’admissions répétées à l’hôpital, de nombreuses consultations externes et des traitements médicamenteux à long terme, qui consomment une part substantielle et croissante de nos budgets déjà limités pour les soins de santé.
Ne devons-nous pas, en tant qu’individus responsables, citoyens et contribuables, ainsi que membres des services de la communauté médicale et des institutions, plutôt nous occuper des causes fondamentales de toute cette obésité épidémique? Non seulement en utilisant une perspective médicale, mais aussi en introduisant une approche sociétale concertée?
Cela signifie de faire pression et de promouvoir la volonté politique de faire face à ce problème dès l’origine et d’élaborer des programmes complets sur l’obésité avec une concentration sur la prévention, plutôt que de traiter seulement les problèmes et les maladies associés à l’obésité? Pourquoi ne pas lancer des campagnes stratégiques et de prise de conscience à long terme, afin de mettre en œuvre des mesures faisant la promotion de choix alimentaires et de styles de vie sains avec la collaboration à la fois des consommateurs et de l’industrie des produits alimentaires et des boissons?
Est-ce normal qu’un litre de Coke soit moins cher qu’un litre de lait? Faut-il vraiment que ça se passe comme ça? Pourquoi permettons-nous à l’industrie des produits alimentaires et des boissons de faire des profits, alors qu’en restant aveugles sur les coûts des soins de santé, cela génère des problèmes en aval?
Nous avons faits de grands progrès en décourageant l’usage de la cigarette; nous avons besoin de nous battre et d’obtenir les mêmes résultats avec les habitudes alimentaires et de style de vie qui mènent à l’obésité. Il ne s’agit pas de porter un jugement (moral); c’est juste un problème financier. Si nous voulons continuer à offrir des soins de santé nécessaires à coûts réduits à ceux qui en ont besoin, nous devons cesser de générer simultanément une demande supplémentaire prévisible. Si une fente se produit sur un bateau, il suffit de boucher le trou, pas uniquement d’évacuer l’eau.
Le Dr Eberhard Renner est le Chef du service de médecine interne de l’Université du Manitoba, et directeur médical du programme de médecine de l’Office régional de la santé de Winnipeg (ORSW). Le Dr Renner a publié plus de 200 documents examinés par des pairs et siège au Conseil d’administration de la Fondation canadienne du foie.