Qui donne un petit bout de son foie à un inconnu?
Qui donne un petit bout de son foie à un inconnu?
Pour les familles ayant des êtres chers qui ont un urgent besoin d’une transplantation hépatique, l’épuisement et la disposition à renoncer à tout espoir est monnaie courante. Il n’existe pas assez de foies provenant de donneurs vivants ou décédés pour remplir la demande. Leurs options étant éphémères, il n’est pas rare de voir des familles se tourner vers les médias sociaux dans leur quête d’un donneur de foie vivant.
En fait, une étude de 2010 a révélé que 11 donneurs de foie anonymes sur 12 ont entendu parler pour la première fois de don d’organe anonyme à travers des appels lancés dans les médias. Ces appels au public donnent un visage à plus de 400 personnes en attente d’une transplantation hépatique au Canada.
C’est pour cette raison qu’en 2016, quand Gianna-Lynn Favilla, âgée de huit ans, a imploré publiquement qu’un donneur de foie se présente, Heather Badenoch n’a pas hésité une seconde de plus. Sa motivation était fondée sur le fait qu’en tant que société, nous ne pouvons pas toujours attendre qu’autrui fasse un geste altruiste, ce geste commence par chacun d’entre nous.
Quand Gianna a fait l’objet d’une transplantation hépatique réussie d’un autre donneur vivant, Heather a demandé qu’on la garde dans le processus de sélection dans le but d’aider un autre enfant compatible qui pourrait désespérément avoir besoin de son foie; c’est ainsi qu’a commencé un parcours de deux ans qui a bouleversé sa vie.
Le parcours de Heather a débuté avec l’équipe de transplantation de l’University Health Network (UHN), un groupe qui en 2017, est devenu le plus grande centre de transplantations de l’Amérique du Nord. Cette équipe a réalisé plus de 700 transplantations de foie provenant de donneurs vivants depuis 1999.
« Pourquoi sauver la vie d’un inconnu? » Heather posa cette question rhétorique lors d’une série de tweets publiés à la fin mai 2018. « Pour une famille, il s’agissait de son enfant, et cet enfant avait besoin de ce petit bout de foie beaucoup plus que moi. »
Devenir un donneur de foie vivant pour un parfait étranger est un processus méticuleux pour lequel de multiples précautions doivent être prises par l’équipe de transplantation. Ce parcours comprend des examens médicaux approfondis (tomodensitométries, IRM, analyses de sang, électrocardiogramme, radiographies) ainsi qu’une évaluation psychologique pour vérifier par exemple, que la décision de faire le don n’est pas impulsive ou à la suite de pression exercée par une tierce partie.
« Avant même que je remplisse le formulaire, le site web des donneurs de foie vivants contenait des pages et des pages d’information sur le processus, l’intervention chirurgicale et les complications possibles. Toute l’information était à ma disposition, » explique Heather lors d’un entretien avec la FCF. « J’ai rencontré quatre chirurgiens qui ont pris le temps de me parler et de me donner des conseils pour s’assurer que j’avais bien compris le processus et que j’étais consciente de l’impact de ma décision. »
Malheureusement, tous les candidats qui se proposent comme donneur de foie vivant ne sont pas nécessairement des sujets appropriés pour une transplantation. Les centres de transplantation procèdent à un examen en profondeur d’une myriade de critères détaillés pour associer les donneurs aux receveurs selon la compatibilité de la taille du foie et du groupe sanguin, entre autres.
C’est avec plaisir que Heather s’est soumise à tous les examens requis et en 2016, elle a été jumelée à son premier receveur potentiel. Cependant, peu après la date de transplantation fixée, le receveur anonyme est tombé malade. L’équipe de transplantation s’est vue obligée de reporter l’intervention et finalement de l’annuler.
Devant préserver l’anonymat du receveur, la seule explication que l’équipe de transplantation a pu fournir à Heather était que la greffe ne pourrait être effectuée dans un avenir prévisible.
« Ce fut un moment très triste, » dit Heather. « Bien que l’enfant et sa famille soient des inconnus, cette nouvelle déchirante nous a fait réaliser à quel point nous étions proche de sauver sa vie, mais que cette chance était fugace. »
Naturellement, ce moment émouvant a incité Heather à faire une pause avant de se lancer de nouveau dans le processus de don. L’année suivante, elle s’est encore proposée comme donneur vivant et son objectif s’est concrétisé de nouveau quand un receveur compatible a été localisé et la date de chirurgie établie.
Heather a fait don de 30 % de son foie à un enfant lors d’une chirurgie transplantatoire réussie à l’Hôpital général de Toronto (TGH) et l’hôpital SickKids. Elle n’a obtenu aucune autre information sur l’enfant qu’elle a sauvé, hormis le fait que l’intervention avait réussie et que l’enfant se portait bien. L’unique correspondance entre le donneur et le receveur sera une lettre anonyme transmise par le bureau des transplantations.
Heather a passé une semaine en convalescence dans l’unité de transplantation d’organes de TGH. Elle s’est rapidement rétablie, optant pour une réinsertion en douceur dans sa société de conseil, 11 jours après l’intervention chirurgicale. Son foie s’est régénéré avec succès et repris une taille normale quelques mois plus tard.
« Je trouve difficilement les mots pour décrire le sentiment d’euphorie qui m’envahi ces derniers mois, » dit Heather. « Je me surprends à penser à cet enfant tout le temps et à m’imaginer les évènements marquants de sa vie et toutes les choses qu’il pourra accomplir. »
Ayant repris ses activités quotidiennes, il ne lui reste plus qu’une cicatrice de 4 po que Heather considère comme un rappel de ce qui compte dans la vie et qui met tout en perspective selon ses tweets. Mise à part le fait qu’il ne faut pas s’en faire pour un rien, Heather est très claire sur le message qu’elle veut transmettre à ses lecteurs.
« Pour toutes les personnes vivant dans ce pays (du moins en Ontario), retournez votre carte de santé et vérifiez si le mot ‘donneur’ y est inscrit, » dit Heather.
« Si ce n’est pas le cas, allez vous inscrire en ligne. Maintenant que vous en savez plus sur ce que signifie être un donneur vivant, songez-y sérieusement! Pensez au fait que vous pourriez être la raison pour laquelle une personne de plus pourrait être retirée de cette liste d’attente. »
Si en lisant ce récit vous en êtes arrivé à la conclusion que Heather marquait ainsi la fin de son parcours en tant que donneur vivant, vous vous trompez.
« Je vais le refaire, » dit Heather. « Il se trouve qu’un membre de ma famille souffre de lupus et pourrait nécessiter un rein, alors je me porte volontaire si elle me donne le feu vert. »